Le musée du Louvre, tour de Babel sous la pyramide.

Dernièrement, j'ai découvert une superbe BD : L'île Louvre, dessinée et scénarisée par Florent Chavouet, une coédition Louvre éditions et Futuropolis.

La réussite de cette BD est due au talent du dessinateur qui a su concilier deux sujets majeurs de cet album : l'identité patrimoniale du Louvre et la manière dont les visiteurs du 21eme siècle mondialisé se réapproprient ce musée planétaire.

Une cartographie de l'espace qui révèle l'identité patrimoniale du Louvre.

Il s'agit d'un carnet ethnographique, un véritable objet graphique dont la couverture sert de porte d'entrée dans l'imaginaire à la fois singulier et universel du dessinateur. Toutes les pages, même les pages de garde et les annexes sont au service de l'univers maritime crée par Chavouet qui a même dessiné le Delacroix, le petit bateau de la compagnie maritime parisienne.

J'aime beaucoup ses cartes géographiques à mi-chemin entre imaginaire et réalité car c'est vrai que Paris est une ville d'îles dont la Seine modèle le visage. Florent Chavouet a su montrer l'identité du Louvre, forteresse médiévale puis résidence royale au plan de visite si compliqué. C'est la proximité de la Seine qui a séduit Henri IV pour créer une galerie des chefs d' œuvres à l'image des palais italiens contemporains. Et il était incontournable d'évoquer la crue centennale de la Seine qui attend le Louvre, un jour ou l'autre.

Or, le dessinateur en a fait le thème central de son album pour symboliser la pyramide qui se vide de ses visiteurs chaque soir lors de la fermeture du musée. La double planche qui décrit la cacophonie ambiante sous la pyramide dans la journée est très efficace, car les allées centrales de cet épicentre ressemblent en toute honnêteté, à une immense marée humaine: plus de 29 000 visiteurs quotidiens.

Florent Chavouet, L'île Louvre, droits réservés à Futuropolis

Un musée planétaire réinventé chaque jour par la culture mainstream.

Ne cherchez pas à lire une histoire traditionnelle, le fil narratif se perd et se retrouve au fil des pages. Il s'agit d'une galerie de portraits, croquée sur le vif. Ainsi, les gardiens de musée, les visiteurs ou encore les guides-conférenciers deviennent des personnages de tableaux à part entière.

J'étais quelque peu désarçonnée au début par l'esthétique japonisante utilisée par Chavouet pour ses personnages, mais le fait d'utiliser des crayons de couleurs aux teintes douces et choisies est très agréable pour l’œil. Par ailleurs, il faut saluer son grand talent de copiste des œuvres phares du musée à l'image du tableau L'automne de Arcimboldo en 1573 ou encore celui d'Ingres : Roger délivrant Angélique.

Florent Chavouet est un fin observateur qui saisit avec beaucoup de justesse les subtilités culturelles des visiteurs du Louvre. Leurs commentaires approximatifs sur les tableaux, leur manière de ressentir les œuvres et de se les réapproprier constituent la saveur de cet album.

Ainsi ces touristes japonais qui détournent le sens du vase antique du vase de Pergame pour créer une mise en scène futuriste ou encore la planche la plus réussie : le dessin d'une touriste russe intitulée la poupée russe car ses vêtements, ses bijoux et son maquillage sont parfaitement raccord avec l'intérieur du département des objets d'art dans lequel elle a demandé au dessinateur d'être photographiée.

Ainsi, désormais les perches à selfie cohabitent avec les chevalets des copistes professionnels du musée. Mais le summum de la culture mainstream qui se développe dans ce musée planétaire est à l'image de cette anecdote racontée par un gardien de musée :

Il est où le tableau de Coldplay Viva la Vida?
pour demander La liberté guidant le peuple de Delacroix.

Ancienne élève de l' École du Louvre et libraire au musée, j'ai arpenté chacune des salles, des couloirs publics au fil de séances de travaux dirigés devant les œuvres et en tant qu'employée, les dédales des couloirs souterrains aux grosses écritures rouges et noires me sont familiers.

Chacune de ces planches me rappellent des scènes sociologiques surréalistes comme ces touristes japonais en visite groupée, qui photographiaient frénétiquement le poster de la Joconde dans la vitrine des produits dérivés.

Je vous conseille cette bande-dessinée pour sa qualité graphique et le fait que c'est un très bel objet avec des cartes géographiques, de beaux tableaux reproduits qui montrent avec fidélité la magie du musée du Louvre qui déplace les foules du monde entier.

Enfin, ne vous fiez pas à sa grande liberté de ton assumée, cette bande-dessinée est bien plus qu'un divertissement, c'est une source scientifique pour les étudiants de médiation culturelle de l' Ecole du Louvre.

Elle exprime la mondialisation culturelle dans les musées vue par le 9eme art : quand les portraits de visiteurs lambdas croqués sur le vif deviennent de véritables sujets de tableaux.

Découvrez les premières planches de "L'Ile-Louvre" de Florent Chavouet

Séduisant, foisonnant et japonisant, l'univers de Florent Chavouet ("Manabé Shima", "Petites coupures à Shioguni") se superpose à celui du Louvre. Dans la collection coéditée par le prestigie...

http://www.telerama.fr/livre/decouvrez-les-premieres-planches-de-l-ile-louvre-de-florent-chavouet,133489.php

Cette culture qui plaît à tout le monde

INTERVIEW - Pour le chercheur Frédéric Martel, les États-Unis ont gagné "la guerre mondiale des contenus" culturels. Dans son nouvel ouvrage, Mainstream, fruit d'une enquête menée dans trente...

http://www.lefigaro.fr/culture/2010/03/26/03004-20100326ARTFIG00696-cette-culture-qui-plait-a-tout-le-monde-.php

Ecole du Louvre

L'Ecole du Louvre est un établissement d'enseignement supérieur qui dispense des cours d'histoire de l'art, d'archéologie, d'épigraphie, d'histoire des civilisations, d'anthropologie et de mus...

http://www.ecoledulouvre.fr/